
La société de consommation est perçue comme une évidence. Tout le monde pense en avoir fait le tour, et pour cause : nous la croisons dans tellement de livres, de discussions devant la machine à café, dans les débats politiques, ou même chez nos ados :
« C’est la société de consommation, cherche pas, wesh ».
Mais que pouvons-nous dire exactement de ce système complexe, à part qu’il gouverne aujourd’hui nos choix quotidiens ? Dans cet article j’ai tenté de rassembler les bases du concept, et de mieux comprendre comment ce système s’est formé, sur quoi il repose, et pourquoi il continue de faire débat.
Qu’est-ce que la société de consommation ?

La « société de consommation » désigne un modèle économique, social et culturel qui repose sur quatre piliers :
1️⃣ la production de masse : des biens fabriqués en grandes quantités, à bas coût, pour être vendus rapidement ;
2️⃣ la stimulation permanente de la demande : publicité, marketing, tendances, réseaux sociaux… tout pousse à acheter, y compris sans besoin ;
3️⃣ des moyens d’achat simplifiés : grandes surfaces, livraison rapide, paiement fractionné, crédit à la consommation ;
4️⃣ un imaginaire collectif : consommer devient un marqueur de réussite, d’identité, voire de normalité.
Autrement dit, nous parlons d’un système complet de fonctionnement (et pas d’une idéologie ou d’un comportement). Dans ce système, consommer ne sert plus uniquement à se procurer ce dont on a besoin, mais devient une fin en soi, encouragé par les outils du marketing et de la vente.
Le terme apparaît dans les années 1950-60, notamment chez l’économiste John Kenneth Galbraith, qui critique dans l’Ère de l’oppulence (1958) une économie produisant des biens de plus en plus superflus pour entretenir la croissance.
En France, c’est Jean Baudrillard qui dans La Société de consommation (1970), apporte une lecture décisive. Il ne voit pas la consommation comme une simple réponse à des besoins, mais comme un langage social. On consomme des signes, pas seulement des objets. Chaque achat renvoie à une appartenance, à une image, à une position.
Cette idée sera prolongée, quelques années plus tard, par Pierre Bourdieu. Dans La Distinction (1979), il montre que les goûts, les pratiques et les choix de consommation participent à la reproduction des hiérarchies sociales.
Comment s’est construite la société de consommation ?

Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis diffusent leur modèle économique et culturel en Europe. Ce système repose d’abord sur la production industrielle de masse. Il standardise les biens, simplifie leur diffusion et généralise le libre-service. En parallèle, il s’appuie sur une circulation massive d’images (cinéma, télévision, publicité) qui présentent des modes de vie où consommer devient un geste central.
Dans les années 1950, ces éléments s’implantent progressivement dans le quotidien européen. L’augmentation du pouvoir d’achat, les foyers qui s’équipent et le développement des grandes surfaces transforment la consommation en norme sociale. C’est ainsi que la société de consommation s’installe durablement et modèle les Trente Glorieuses (1945–1975).
Cette évolution repose sur un ensemble de transformations concrètes, mises en place tout au long du XXe siècle :
Industrialisation : les progrès techniques et l’organisation du travail permettent de produire rapidement, en grande quantité, à bas coût.
Distribution de masse : la production en série s’accompagne de nouveaux circuits de distribution, comme les supermarchés en libre-service, qui rendent l’offre accessible, visible, permanente.
Marketing et publicité : la communication commerciale ne vise plus seulement à informer. Elle crée des besoins, transforme les attentes, anticipe les comportements.
Banalisation de l’achat : l’acte de consommer devient ordinaire, intégré aux routines sociales.
Les conséquences de la société de consommation
La société de consommation a transformé les comportements en profondeur, et a redéfini les rapports sociaux et l’environnement :
- La consommation est devenu un marqueur social : on ne consomme pas seulement pour répondre à un besoin, mais pour exister symboliquement.
- Les objets sont conçus pour être remplacés rapidement : l’obsolescence programmée, ou simplement culturelle, entretient une logique de renouvellement permanent.
- Les inégalités se creusent : tout le monde ne peut pas suivre le rythme de cette mise en scène par l’achat.
- L’impact environnemental fait largement consensus. Avec l’extraction des ressources, la pollution liée à la production, l’accumulation de déchets et les émissions de gaz à effet de serre, l’Homo Oeconomicus devenu Homer Simpson est en train de détruire la planète.
Ces effets suscitent des critiques, parfois virulentes, de la part d’économistes, de philosophes, d’écologistes ou de mouvements citoyens.
Où en est la société de consommation aujourd’hui ?

Depuis quelques années, la consommation s’intensifie, notamment sous l’effet du numérique. Commander depuis chez soi, à toute heure, sans effort, est devenu une habitude courante. Les grandes plateformes comme Amazon dominent : avec plus de 37 millions de visiteurs mensuels en France en 2023, le site capte une attention supérieure à celle de la plupart des médias traditionnels. Son partenariat avec Cofidis permet même de payer en plusieurs fois, pour des paniers allant jusqu’à 2 000 euros. Cette logique, où tout est pensé pour alléger la sensation de dépense, s’impose peu à peu comme une norme.
Dans la mode, les plateformes chinoises comme Shein et Temu renforcent encore cette dynamique. En 2024, elles ont représenté à elles seules près d’un quart de la croissance des dépenses de consommation courante en France. Leur modèle repose sur :
- un renouvellement très rapide de l’offre,
- des prix extrêmement bas,
- une incitation constante à l’achat.
Face à cette accélération, une loi française a été votée en mars 2024 pour encadrer l’ultra fast fashion : écoparticipation pouvant aller jusqu’à 10 euros par article, encadrement de la publicité.
En parallèle, certaines pratiques plus sobres gagnent du terrain. Selon le cabinet d’études Enov, près de 3 français sur 4 ont acheté un produit d’occasion en 2024. Le bonus réparation, lancé en 2022, est désormais bien installé, notamment dans l’électroménager et l’habillement. Ces gestes restent minoritaires dans les flux globaux, mais ils traduisent un changement de regard. Selon l’ADEME, 60 % des Français disent aujourd’hui reconnaître l’urgence d’agir pour le climat. Ce décalage entre les pratiques dominantes et les intentions déclarées est peut-être ce qui définit le mieux la société de consommation à l’heure actuelle.
Le débat sur la société de consommation

Depuis son apparition, la société de consommation fait débat. Certains y voient un facteur de progrès économique et social. D’autres y lisent un système de dépendance, de domination ou d’épuisement écologique.
C’est la partie de l’article où j’ai personnellement appris le plus de choses. Si vous souhaitez que j’écrive un article sur un des auteurs ci-dessous, glissez son nom dans les commentaires, et je l’ajouterai dans mon calendrier éditorial 😉
Arguments pour la société de consommation
Le niveau de vie des pays industriels s’est amélioré considérablement. des économistes comme Angus Deaton (prix Nobel, 2015) estiment que la consommation de masse a permis à des millions de personnes d’accéder à un confort matériel auparavant réservé à une minorité. En soutenant la croissance économique, elle aurait participé à la réduction de la pauvreté (La grande évasion: Santé, richesse et origine des inégalités 2013).
L’innovation est gagnante, stimulée en continu. Le renouvellement permanent de l’offre, souvent critiqué pour son instabilité, est vu par Joseph Schumpeter comme un moteur fondamental du progrès technique. La “destruction créatrice” permettrait au capitalisme d’innover en permanence (Capitalisme, socialisme et démocratie, 1942).
La liberté de choix est au cœur de la consommation : des penseurs libéraux comme Milton Friedman considèrent la consommation comme une forme de liberté concrète. Le consommateur, en exprimant ses préférences par ses achats, oriente l’économie selon ses besoins (Capitalisme et liberté, 1962).
Arguments contre la société de consommation
Consommer, c’est se montrer : nous l’avons vu brièvement, Jean Baudrillard affirme que la consommation ne répond pas seulement à des besoins, mais qu’elle repose sur la fabrication d’un imaginaire. Dans La Société de consommation (1970), il montre que les objets fonctionnent comme des signes : on achète pour se situer, pas seulement pour utiliser.
Jouir pour mieux obéir (normalisation des comportements) : Michel Clouscard, dans Le Capitalisme de la séduction (1981), analyse comment la société de consommation canalise la contestation en promouvant une liberté construite autour du plaisir. Ce qu’elle appelle émancipation sert en réalité à maintenir l’ordre établi.
Plus rien n’échappe à la logique marchande : Henri Lefebvre, dans Critique de la vie quotidienne (1947), montre comment la consommation transforme les gestes les plus simples en pratiques économiques. Ce cadre s’impose progressivement, jusqu’à ne plus être perçu comme tel.
La consommation classe autant que les diplômes : Notre Pierre Bourdieu national, dans La Distinction (1979), analyse les choix de consommation comme des formes de classement social. Les goûts, les styles, les objets servent à signaler une position, à entretenir les écarts entre groupes sociaux.
Il est où le bonheur ? Serge Latouche, figure de la décroissance, remet en cause le lien entre consommation et bien-être. Dans Petit traité de la décroissance sereine (2007), il appelle à rompre avec l’idée de croissance infinie et propose un autre imaginaire économique, fondé sur la sobriété et le relocalisé.
La publicité nous dit quoi penser : Le Groupe Marcuse, dans De la misère humaine en milieu publicitaire (2004), critique le rôle structurant de la publicité dans la société de consommation. Pour ce collectif de chercheurs engagés, il ne s’agit pas seulement d’inciter à l’achat, mais de façonner les désirs, d’orienter les subjectivités, et d’empêcher toute remise en question du système.
Nous cosommons pour oublier : certains achats ne répondent ni à un besoin, ni à une envie claire. Jean Ades et Michel Lejoyeux, dans La fièvre des achats (1999), décrivent ce comportement comme un trouble compulsif : acheter devient un moyen de calmer un mal-être ou une tension interne. Le soulagement est immédiat, mais il ne dure pas. À terme, ces achats répétés peuvent conduire à des dettes importantes, à des conflits familiaux, ou à un sentiment de perte de contrôle.
Société de consommation : ce qu’on peut retenir

Je ne prétends pas avoir tout couvert, mais voici ce que je retiens de cette notion a priori rebattue, mais qui a encore bien des choses à nous dire :
- La définition rapide :
La société de consommation est un modèle économique, social et culturel qui se fonde sur la production de masse, la stimulation de la demande et la sur-banalisation de l’acte d’achat dans la vie quotidienne. - Les origines assez récentes :
Elle se construit après 1945 dans les pays industrialisés. Ces derniers se reconstruisent et voient rapidement la montée du pouvoir d’achat, avec un développement massif du marketing et l’équipement des foyers. - Les conséquences qu’on peut déplorer :
- Une pression écologique intense sur les ressources, la pureté de l’air et de l’eau, le climat.
- Des inégalités sociales renforcées
- Un mal-être au quotidien (stress, insatisfaction, dépendance)
- Les tendances actuelles :
- L’ultra fast fashion provoque une réponse politique (loi de 2024)
- La seconde main progresse (64 % des Français en 2023)
- La conscience écologique gagne du terrain (60 % jugent l’action urgente)
- Les enjeux du débat :
D’un côté, faut-il arrêter le progrès, l’innovation et limité la liberté de choix ?
Mais de l’autre, comment s’accomoder de besoins fabriqués ex-nihilo, de l’impact écologique et de l’exacerbation des inégalités ?
🛒 Foire aux questions : la société de consommation
C’est l’art de transformer votre maison en entrepôt Amazon. Plus sérieusement, c’est l’achat excessif de biens, souvent inutiles, qui épuise les ressources naturelles et encombre nos vies.
Pour éviter que la planète ne devienne une décharge géante. Cela implique de faire des choix éclairés, favorisant des produits durables, éthiques et respectueux de l’environnement.
Elle facilite l’accès à une multitude de produits, mais souvent au détriment des petits producteurs, de la qualité et de l’environnement. C’est un peu comme choisir entre un fast-food et un repas fait maison.
Il nous pousse à croire que le bonheur s’achète, transformant nos désirs en besoins et nos besoins en dettes. Une boucle sans fin où l’on court après la dernière nouveauté.
C’est le partage de biens et de services entre particuliers, comme le covoiturage ou les plateformes de prêt d’objets. Une manière de consommer moins, mais mieux.
En privilégiant les produits locaux, bio, en vrac, et en évitant le gaspillage. Pensez à votre empreinte carbone comme à votre empreinte sur le sable : moins elle est profonde, mieux c’est.
Le marketing sensoriel désigne l’ensemble des techniques qui stimulent les sens (vue, ouïe, odorat, toucher, goût) pour influencer les comportements d’achat.
Quelques exemples courants : de la musique douce dans les boutiques, une odeur de pain chaud dans les grandes surfaces, un éclairage flatteur dans les cabines d’essayage.
Le but ? Créer une ambiance agréable qui pousse à rester plus longtemps… et à acheter plus. Résultat : on ressort souvent avec des produits qu’on n’avait pas prévu d’acheter.
C’est afficher sa richesse par ses achats, comme une voiture de luxe ou des vêtements de marque, pour impressionner les autres. Un peu comme un paon qui fait la roue
Le productivisme, c’est une logique économique qui valorise la production maximale, dans un temps minimal, avec un minimum de coûts.
Ses effets sont nombreux : il épuise les ressources naturelles, aggrave la pollution, pousse à l’uniformisation des biens, et exerce une pression constante sur les salariés pour produire toujours plus vite.
En se posant les bonnes questions avant d’acheter : d’où vient ce produit ? Qui l’a fabriqué ? Dans quelles conditions ? Est-ce que j’en ai vraiment besoin ?
🎤 Cette logique économique vous paraît-elle encore tenable ? Est-ce qu’il faut chercher à en sortir, ou apprendre à mieux vivre avec ? Et surtout, qu’est-ce que j’ai oublié de mentionner dans ce survol ? Hâte de lire vos commentaires !
Merci pour cet article très très complet et accessible ! J’ai appris plein de choses tout en prenant du recul sur mes propres habitudes de consommation!! Beau travail !
Ton commentaire me fait hyper plaisir, Asma. Prendre conscience de nos habitudes de consommation est un premier pas vers le changement (ou un ralentissement…)
Article lu en écoutant « Paninaro » des Pet Shop Boys. Expérience « all-inclusive » garantie !
Merci pour ces solides lectures en perspective !
Ah tu viens de me rendre fan de cette chanson, plus subtile et profonde que je n’avais pensé de premier abord 😉
C’est drôle, j’ai lu récemment que la surconsommation est en réalité un besoin d’impressionner les autres. La société nous a conditionnés à cela, d’où l’importance de se reconnecter à ses véritables besoins et de prendre conscience que vivre des expériences est bien plus enrichissant que de posséder des objets. 😄
Je pense aussi que ce besoin de consommer de manière impulsive est souvent le reflet de notre état émotionnel intérieur du moment.
Ahaha, exactement : « La consommation, c’est l’art de transformer votre maison en entrepôt Amazon » excellent, Eva ! 😉
Merciii ! Je suis d’accord avec toi, parfois nos pulsions d’achat sont provoqués par un certain état émotionnel… pour d’autres il y existe un réel vide à combler, soit en faisant chauffer la carte bleue, soit en mangeant – dans les deux cas on consomme !
Ton article est incroyable en cela qu’il explique clairement et brièvement comment est née la société de consommation, et comment on est passé à une ère de surconsommation… comment tout cela va-t-il finir ? Là est la question !
De la consommation à la surconsommation, il n’y a qu’un pas ! Bon nombre d’entre nous mal-consomment, en manquant de discernement dans leurs choix de consommateurs. En cela, l’économie, parfois animée de motivations peu respectables, ne nous aide pas à y voir clair. A chacun de nous d’être responsable, ou de tenter de l’être !
J’ai grandi dans un environnement relativement modeste, dans un contexte d’immigration sur fond de guerre. Plus tard, en gagnant mes premiers euros, c’était un peu la folie. Cette sensation de liberté de tout pouvoir s’offrir… Mais en réalité, j’ai assez rapidement été dégoûtée de ça, un peu comme si l’on mangeait d’un coup un vacherin entier.
J’ai commencé à « décroître » de plus en plus et quel bien fou ça me fait aujourd’hui !
C’est clairement ce que je conseille aujourd’hui dans mes accompagnements.
On n’a rien besoin de prouver à qui que ce soit, et encore moins à soi-même !
Merci pour cette plongée passionnante dans les rouages de notre société moderne ! Ton article sonne comme un appel à la conscience, un doux rappel que derrière chaque achat se cache une histoire, un choix. Une lecture qui pousse à réfléchir, ralentir et consommer autrement — un vrai souffle d’espoir pour un avenir plus responsable ! 🙂