La littérature française du 17ème siècle

Qu’est-ce que la littérature du 17ème siècle ? Par où commencer pour l’intégrer durablement dans son bagage culturel ? Pas facile. Moment charnière entre Renaissance et Lumières, le XVIIe siècle concentre des mutations fortes, dans un champ intellectuel fracturé. La diversité des styles rend l’ensemble difficile à résumer.
Concrètement, plusieurs courants, quatre lames de fond s’y côtoient, souvent en opposition :
Le baroque, flamboyant et exubérant, qui célèbre le mouvement et la complexité.
Le classicisme, en réaction, qui défend ordre, clarté et raison.
La préciosité, qui fignole langage et manières pour échapper au vulgaire.
Le libertinage naissant, qui revendique une liberté intellectuelle et morale.
Cette période est aussi celle de la fameuse querelle des Anciens et des Modernes, débat intellectuel sur la place de la tradition face au progrès.
Au-delà des styles, le XVIIe siècle forge les institutions littéraires (Académie française, salons) et voit la naissance d’une vie littéraire organisée, sous l’égide du mécénat royal, notamment sous Louis XIV.
Le théâtre, la poésie, le roman et la littérature morale foisonnent, portés par des auteurs incandescents qui traduisent à leur manière cette époque à la fois brillante et troublée.
Ces textes sont essentiels pour goûter ce que le 17ème siècle a vraiment apporté à la littérature française : entre rigueur et invention, un art du langage somptueux, et la naissance d’une littérature engagée au cœur de la société.
Le 17ème siècle en Europe : entre grandeur et massacres
Sous la splendeur des mots et des beaux-arts, le 17ème siècle européen, ce sont des rivalités sanglantes entre États pour affirmer leurs grandeurs nationales, souvent au prix de guerres de religion et de luttes territoriales interminables.
En Espagne, le « Siècle d’or » s’étend sur tout le 17e siècle, porté par une monarchie catholique puissante, qui rayonne dans les arts, la littérature et la politique.
En France, le « siècle de Louis XIV » incarne l’apogée de la monarchie absolue. La grandeur littéraire se déploie dans des formes variées : théâtre, poésie, roman, philosophie. Versailles devient le centre culturel et politique.
En Angleterre, la fin du « Siècle d’Élisabeth » laisse place à un siècle de bouleversements politiques importants, mais aussi à une littérature exceptionnelle qui reflète et nourrit la puissance du pays.
Dans d’autres régions comme les Provinces-Unies, l’Allemagne ou la Suisse : Spinoza écrit en latin sur la liberté de penser. Grimmelshausen raconte la guerre en inventant un héros picaresque. Gryphius écrit une poésie marquée par la douleur. Silesius condense sa foi en vers courts et rigoureux. Morsztyn travaille une langue précise et sensuelle. Ulfeldt écrit en prison un récit où sa vie de femme enfermée dialogue avec l’histoire politique de l’Europe.
Maintenant qu’on a dit ça, il faut absolument garder ceci en tête : si le 17ᵉ siècle produit des chefs-d’œuvre, c’est parce qu’elles sont commandités et financées par les puissants (à quelques illustres exceptions près), pour affirmer leur grandeur et celle de leurs États. Or, cette grandeur passe par les arts, mais aussi par la guerre. Et ce sont les peuples qui paient le prix fort. Pour mener leurs campagnes, les rois enrôlent de force les hommes, vident les foyers, désorganisent le travail. Pour financer ces guerres, ils imposent des taxes insoutenables à des familles déjà précaires. Les armées, en déplacement constant, réquisitionnent les vivres, s’installent dans les maisons, détruisent ce qu’elles ne prennent pas. Les campagnes s’appauvrissent, les villages se vident. C’est sur cette réalité à feu et à sang que se construit l’image d’une puissance royale. Et ce sont ces souffrances accumulées qui nourriront les révolutions du 18ème siècle.
Et, bien entendu, le 17e siècle ne se limite pas à l’Europe. La Chine sous la dynastie Qing, le Japon à l’époque Edo, l’Empire ottoman arabe, les cultures africaines, l’Inde indo-persane avec ses classiques offrent des œuvres remarquables. Chacun de ces mondes mériterait un article dédié. Si vous souhaitez en savoir plus, faites-le moi savoir en commentaires. J’aimerais vraiment approfondir ces sujets pour vous
Table des matières
François de Malherbe (1555–1628)

François de Malherbe a jeté les bases de la poésie classique française en imposant une rigueur novatrice dans la forme poétique et une belle clarté dans le langage.
Né à Caen dans une famille noble normande, il est le fils d’un conseiller au bailliage. Il abandonne ses études de droit et vit entre Caen et Provence, où il vivote. En 1605, sa carrière change : présenté au roi Henri IV, il compose une ode qui lui ouvre la Cour. Il devient poète officiel sous Henri IV, puis Marie de Médicis, et conserve ce rôle sous Louis XIII. Cette stabilité lui permet de se consacrer à la réforme de la langue et de la poésie françaises.
Le « père de la littérature classique » a rassemblé tardivement son œuvre dans le Recueil des plus beaux vers (1627). Parmi ses poèmes, Les Larmes de saint Pierre, qu’il reniera plus tard, témoignent de son passage par un style baroque chargé d’images et de pathos. À l’opposé, Consolation à Monsieur Du Périer, placée en tête du Recueil des plus beaux vers (1627), impose une langue sobre, une émotion disciplinée, et incarne déjà une hiérarchie des genres qui réserve aux grands et aux morts les registres les plus nobles.
Mais elle estoit du monde où les plus belles choses
Ont le pire destin,
Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses,
L’espace d’un matin.Malherbes, Consolation à M. du Périer
Son style épuré et ordonnée, ajusté à chaque genre, évacue toute fioriture baroque au profit d’une clarté mesurée, non dénuée d’éclat.
Malherbe est le premier grand réformateur de la poésie française. Son art poétique rejette le maniérisme, il est fait de suppressions, d’annotations, de corrections. Ainsi, la fameuse Doctrine de Malherbe, en imposant la la sobriété, rend la littérature compréhensible à tous, sans les exubérances de la Renaissance.
Pierre Corneille (1606–1684)

Corneille donne au théâtre français sa première grandeur en construisant une tragédie fondée sur l’admiration, le dépassement de soi et la clarté morale. Il transforme le drame en lieu d’exigence, où chaque décision engage la volonté, la raison et l’honneur dans un affrontement lucide avec ce qui élève.
Né à Rouen dans une famille bourgeoise, il est avocat de profession, tout en ayant développé très tôt une passion pour le théâtre. Après avoir vécu des revenus liés à ses offices d’avocat du roi, achetés par son père, il a pu s’appuyer sur la pension de Richelieu, ses charges officielles, notamment comme procureur aux États de Normandie, et les profits de ses œuvres, y compris sa traduction lucrative de L’Imitation de Jésus-Christ.
Mon père est mort, Elvire ; et la première épée
Dont s’est armé Rodrigue a sa trame coupée.
Pleurez, pleurez, mes yeux, et fondez-vous en eau !
La moitié de ma vie a mis l’autre au tombeau,
Et m’oblige à venger, après ce coup funeste,
Celle que je n’ai plus sur celle qui me reste.Corneille, Le Cid
Le dilemme cornélien, cela vous parle ? Ce conflit terrible entre devoir et passion, c’est le moteur de son théâtre. Dans Le Cid, Rodrigue doit choisir entre l’honneur familial et l’amour, ce qui élève l’action à un niveau moral inédit. Horace et Cinna reprennent ce principe, mais dans des enjeux politiques où loyauté et pouvoir s’affrontent. Corneille préfère le spectaculaire à la simple psychologie pour montrer la grandeur humaine, où la vertu triomphe toujours, même si c’est au prix du sacrifice.
Le style de Corneille, c’est l’alexandrin classique, régulier, magistral, à la syntaxe large et ordonnée, avec des effets d’équilibre, d’opposition, de reprise, qui donnent à chaque vers une tension claire et une puissance oratoire. Dans la terminologie critique, on parle de périodes construites, d’antithèses et de parallélismes qui soutiennent la logique du discours. On applaudit une rhétorique admirable, héritée de la tradition jésuite.
Vous l’aurez compris, Corneille occupe une place souveraine dans les lettres françaises : il ne peint pas l’homme ordinaire, il façonne des héros à la mesure de situations d’exception. Il développe un théâtre où la grandeur ne se constate pas, mais se conquiert. Où l’on mesure ce que le théâtre peut exiger d’un homme, et ce que l’homme peut exiger de lui-même.
Jean de Rotrou (1609–1650)

Je vous présente à présent le deuxième grand dramaturge français avant 1650, grâce à une production foisonnante (une cinquantaine de pièces, dont 35 conservées), dès ses vingt ans et d’une position officielle de « poète à gages » à l’Hôtel de Bourgogne .
Issu d’une famille bourgeoise de magistrats de Dreux, il étudie le droit à Paris puis devient membre de l’Hôtel de Bourgogne dès 1628. Il écrit en fonction des attentes du public et de la protection du comte de Belin et de Richelieu. Cette position lui assure indépendance et régularité de revenus, notamment parce que ses mécènes contribuent à l’édition de ses pièces et commissions.
Parmi ses œuvres à lire, Le Véritable Saint Genest (1646) mixe mystère chrétien et tragédie, avec une mise en abyme (intégration d’une pièce dans la pièce). Venceslas (1648), son chef-d’œuvre selon la tradition moderne, déploie une langue baroque, riche en images, portée par des intrigues politiques complexes . Il faut aussi mentionner Cosroès (1649), seule pièce considérée comme entièrement originale.
ALEXANDRE
Seigneur…LE ROI
Que voulez-vous ? Sortez.ALEXANDRE
Je me retire,
Mais si vous…LE ROI
Qu’est-ce encore ? Que me vouliez-vous dire ?
À quel étrange office, Amour, me réduits-tu !
De faire accueil au vice, et chasser la vertu !Jean de Rotrou, Venceslas
Les critiques s’accordent à dire que son style combine une inventivité baroque (scènes longues, ruptures de ton et figures de style en pagaille), avec une rigueur dramatique qui anticipe les exigences du théâtre classique.
Rotrou écrit beaucoup, selon les modèles du moment, sans trop s’embarrasser de considérations théoriques. Il explore les formes disponibles, de Plaute à Sénèque, du théâtre espagnol à la farce. De cette production inégale se dégage un théâtre où l’action est vive et les passions fortes. Pour tout vous dire, je n’avais jamais lu Rotrou, avant la préparation de cet article. Mais dès les premières répliques de Venceslas, la tension dramatique m’a embarquée, chaque accélérant l’action, chaque phrase portant un conflit. À lire d’urgence.
François de La Rochefoucauld (1613–1680)

François de La Rochefoucauld, ce sont avant tout les Maximes, un recueil de pensées chanmé (pour dire ce qui est) sur la nature humaine et les comportements sociaux. Un must absolu de la littérature morale française.
Né dans une famille noble et ancienne, il appartient à la haute aristocratie : deuxième duc de La Rochefoucauld, prince de Marcillac, sa position sociale élevée lui assure un patrimoine important. Sa richesse lui permet d’écrire sans être dépendant de la faveur royale ou de mécènes. D’où une liberté de ton dans ses réflexions souvent vitriolées.
Les Maximes, publiées en plusieurs éditions à partir de 1665, condensent des observations acérées sur l’égoïsme humain, la société et la morale. Elles s’inscrivent dans la tradition des moralistes français, qui observent les comportements humains avec distance et lucidité. D’autres écrits, comme ses Réflexions ou sentences et maximes morales, complètent cette œuvre essentielle.
Le style de La Rochefoucauld, typique d’une écriture aristocratique, est sec et précis. Il découpe la complexité des mœurs en phrases courtes, calibrées pour être lues, discutées, et reprises en salon.
Quelques découvertes que l’on ait faites dans le pays de l’amour-propre, il y reste encore bien des terres inconnues.
La Rochefoucauld, Réflexions morales
La grandeur de La Rochefoucauld ? Elle réside dans son acharnement tranquille à dévoiler, derrière les faux-semblants, nos motivations cachées. Ce réalisme impitoyable rend ses maximes toujours actuelles et stimulantes, autant pour la réflexion que pour la lecture.
Jean de La Fontaine (1621–1695)

Qui ne connaît pas Jean de La Fontaine et ses Fables ? Derrière leur simplicité apparente, ces textes frappent fort, démasquent les travers humains, et lui ont assuré une place unique dans la littérature française.
Né à Château-Thierry dans une famille bourgeoise, La Fontaine suit d’abord des études de droit, mais il se consacre très tôt à la littérature. Sa situation financière dépend d’abord d’un poste d’intendant chez un noble, puis il vit grâce au soutien de mécènes, notamment Madame de La Sablière, ce qui lui permet de se consacrer à l’écriture. Sa carrière s’étend sur plusieurs décennies, traversant les régimes et les modes littéraires.
Parmi ses œuvres, les siècles ont surtout retenu les Fables. Publiées en plusieurs recueils à partir de 1668, elles s’inspirent des modèles antiques (Ésope, Phèdre) et les adaptent à son époque. Elles mêlent souvent des animaux personnifiés pour illustrer des comportements humains, critiquant parfois la société et les travers humains avec une ironie douce-amère. Parmi ses fables célèbres, vous connaissez certainement Le Corbeau et le Renard, La Cigale et la Fourmi, Le Lièvre et la Tortue. Son autre production, moins connue, comprend des contes et des poèmes en vers.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.Jean de La Fontaine, La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf
Derrière la simplicité de son style se cache une finesse extrême et un français rythmé qui touche un public large. La Fontaine sait rendre la leçon morale légère et souvent amusante, ce qui a contribué à la popularité durable de ses textes.
Ce fabuleux fabuliste offre une réflexion profonde sur la nature humaine sans lourdeur, avec une justesse et une douceur qui séduisent depuis des siècles.
Molière (1622-1673)

Jean-Baptiste Poquelin, plus connu sous le nom de Molière, est le plus grand auteur comique du 17ème siècle en France. Son influence dépasse largement son époque, au point que la langue française lui doit l’expression « la langue de Molière« .
Il naît à Paris dans une famille bourgeoise. Son père exerce la fonction de tapissier du roi, ce qui place Molière dans un milieu aisé et proche de la cour. Malgré un début d’études de droit, il abandonne rapidement pour rejoindre une troupe de théâtre itinérante. Il passe plusieurs années sur les routes, jouant et apprenant le métier d’acteur. C’est à Paris, soutenu par des mécènes influents et le roi Louis XIV, qu’il trouve la stabilité nécessaire pour se consacrer à l’écriture et à la scène.
Parmi ses pièces incontournables, Tartuffe occupe une place de choix. Cette comédie en vers dénonce l’hypocrisie religieuse et sociale, ce qui provoque un tollé à sa création. Le Misanthrope, autre pièce célébrissime, examine avec ironie les faux-semblants et la rigidité des relations sociales. L’Avare, entre comédie et satire, critique l’obsession de l’argent. Ces œuvres sont construites selon les règles du théâtre classique, avec une intrigue bien organisée et un style rigoureux.
Au voleur ! au voleur ! à l’assassin ! au meurtrier ! Justice, juste ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné ; on m’a coupé la gorge : on m’a dérobé mon argent. Qui peut-ce être ? Qu’est-il devenu ? Où est-il ? Où se cache-t-il ? Que ferai-je pour le trouver ? Où courir ? Où ne pas courir ? N’est-il point là ? n’est-il point ici ? Qui est-ce ? Arrête. (À lui-même, se prenant par le bras.)
Molière, l’Avare
Comment résister à ce style ravageur, à cette langue vive, directe et rythmée. Il allie la clarté à une subtilité psychologique qui rend ses personnages crédibles et universels.
Ce qui fascine chez Molière, c’est son art de déshabiller les travers humains avec humour et intelligence. Il ne se contente pas de faire rire, il interroge la société de manière atemporelle. Son théâtre reste en effet un miroir pertinent des comportements humains. Molière divertit tout en suscitant la réflexion. C’est sa force, et c’est pourquoi ses textes continuent d’être joués et étudiés.
Pascal (1623-1662)

Polymathe, Blaise Pascal excelle dans les mathématiques, la physique, la philosophie et la théologie. C’est un esprit rare, dans un 17e siècle déjà peuplé de géants. Il a profondément renouvelé chacune de ces disciplines.
Issu d’une famille bourgeoise proche de la noblesse de robe, Pascal reçoit une éducation humaniste très soignée de son père Étienne, lui-même féru de mathématiques. Dès son plus jeune âge, il démontre un talent exceptionnel pour les sciences. Sa famille s’installe à Paris, où il côtoie les grands savants de son temps et développe une pensée rigoureuse. Sa santé fragile ne l’empêche pas d’être un homme d’action concret, inventeur notamment de la machine à calculer et des premiers transports en commun par carrosses.
Parmi ses œuvres majeures, Les Provinciales défendent la morale chrétienne et critiquent la casuistique des jésuites avec un style accessible, mêlant ironie et argumentation. Les Pensées, œuvre inachevée et posthume, rassemblent réflexions sur la condition humaine, la foi et la raison. Elles intègrent le célèbre pari de Pascal, un raisonnement sur l’intérêt de croire en Dieu face à l’incertitude.
La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la surpassent. Elle n’est que faible si elle ne va jusqu’à connaître cela.
Blaise Pascal, Pensées
Son style se caractérise par une clarté draconienne et une rhétorique qui cherche à persuader sans jargon. Pascal rend des questions complexes accessibles à un large public en exposant directement ses idées.
C’est un auteur unique par son refus de se spécialiser. Multipotentiel avant l’heure (pardon 😁), il articule ses recherches scientifiques, ses réflexions philosophiques et sa foi avec une cohérence étonnante, et contribue à créer un pontentre raison et croyance. Sa conversion religieuse, fondée sur une expérience mystique personnelle, nourrit une pensée à la fois sceptique et fervente, qui reste incomparable dans l’histoire intellectuelle française.
Madame de Sévigné (1626 – 1696)

Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné (1626-1696), est célèbre pour sa correspondance avec sa fille, Madame de Grignan. Ses lettres constituent un pilier incontournable de la littérature française. Ellesdévoilent à la fois une relation mère-fille intense et une fresque sociale du XVIIe siècle.
Madame de Sévigné vient d’une famille noble bourguignonne. Orpheline très tôt, elle grandit chez sa grand-mère, puis chez ses oncles. L’éducation reçue, solide, lui donne accès à plusieurs langues et à la vie mondaine parisienne. Veuve à 25, elle devient indépendante, gère ses terres et se plonge dans la vie sociale. Sa correspondance débute lorsque sa fille s’installe en Provence en 1671.
Ses lettres abordent à la fois l’intime, les événements du temps et les réflexions morales. Elle n’a jamais envisagé d’écrire pour publier. Sa voix ne s’est révélée qu’après sa mort, grâce à la publication par son cousin Bussy-Rabutin.
Sa prose se distingue par son naturel. Elle semble écrire comme elle parle, avec un mélange d’émotion, d’ironie et de précision sur la vie quotidienne.
Nous sentons plus que jamais que la mémoire est dans le cœur ; car, quand elle ne nous vient point de cet endroit, nous n’en avons pas plus que des lièvres.
Lettre de Madame de Sévigné à Madame de Grignan
Je tiens à préciser que je ne l’ai jamais lue. Mais si je la tiens pour exceptionnelle, c’est grâce à Proust. Dans À l’ombre des jeunes filles en fleur, il écrit : « J’ouvris le volume que ma grand-mère m’avait tendu et je pus fixer mon attention sur les pages que je choisis çà et là. Tout en lisant, je sentais grandir mon admiration pour Mme de Sévigné. » On ne peut pas avoir meilleur prescripteur.
Cette correspondance, unique en son genre, échappe aux règles littéraires classiques. Elle est l’expression d’une femme qui écrit pour exister dans l’absence, qui mêle le confidentiel aux soucis du monde, sans chercher à se mettre en scène. Ses petits riens et ses grandes douleurs traversent les siècles sans perdre leur force.
Charles Perrault (1628–1703)

C’est à ce grand Monsieur que nous devons Cendrillon, Le Petit Chaperon rouge, Barbe bleue, et d’autres contes devenus des références absolues.
Charles Perrault est né à Paris dans une famille bourgeoise d’origine tourangelle. Il est le cadet d’une fratrie nombreuse. Il obtient sa licence de droit, devient avocat, mais quitte très vite le barreau. En 1654, il entre au service de son frère, receveur général des finances. Ce poste lui laisse le temps de lire, d’écrire, de se cultiver. À partir de 1663, il travaille pour Colbert, ministre de Louis XIV. Il joue un rôle actif dans la politique culturelle du royaume, notamment à l’Académie française. Il perd tout pouvoir en 1683, à la mort de Colbert, et vit alors principalement de ses pensions académiques, de ses écrits et traductions, et des revenus liés à ses œuvres.
Il était une fois une veuve qui avait deux filles : l’aînée lui ressemblait si fort d’humeur et de visage, que, qui la voyait, voyait la mère. Elles étaient toutes deux si désagréables et si orgueilleuses, qu’on ne pouvait vivre avec elles. La cadette était le vrai portrait de son père pour la douceur et l’honnêteté. Comme on aime naturellement son semblable, cette mère était folle de sa fille aînée et, en même temps, avait une aversion effroyable pour la cadette. Elle la faisait manger à la cuisine et travailler sans cesse.
Charles Perrault, Les Fées
Les Contes de ma mère l’Oye (ou Histoires ou contes du temps passé, avec des moralités), publiés en 1697, sont devenus son œuvre phare. Ils rassemblent huit contes qui reprennent et édulcorent plusieurs histoires populaires. Perrault effectue un travail de reconstitution savante très attentive aux niveaux de langue et à l’équilibre entre archaïsme et clarté.
Il faut lire Perrault pour connaître les versions originales des films d’animation de Disney. Leur ton vous surprendra par le mélange de naïveté et de lucidité qui permet plusieurs niveaux de lecture. Ils parlent de mariage forcé, de domination, de ruse, de survie. C’est en expliquant le monde à hauteur d’enfant comme d’adulte qu’ils ont fertilisé l’imagination de nombreux compositeurs, de psychanalystes, d’écrivains et de cinéastes.
Madame de La Fayette (1634–1693)

La Princesse de Clèves est l’un des premiers romans modernes , et considéré comme le premier grand roman d’analyse psychologique en littérature française. Souvenez-vous : en 2006, Nicolas Sarkozy attira l’attention sur Madame de La Fayette en suggérant que « la guichetière » (entendez Madame Michu ou votre voisin Bob) ne trouverait rien d’intéressant dans son roman.
Mais commençons par le début : Marie-Madeleine Pioche de La Vergne naît dans une famille de petite noblesse de robe. Elle reçoit une éducation littéraire soignée et fréquente très tôt les cercles intellectuels parisiens. Mariée au comte de La Fayette, elle ne vit pas dans l’opulence mais bénéficie d’un statut social qui lui permet de se consacrer à l’écriture et à la vie mondaine. Elle fréquente assidûment les salons et publie anonymement ses romans, comme beaucoup de femmes de son milieu à l’époque.
La Princesse de Montpensier (1662) ouvre le chemin de ses fictions morales et politiques ; Zaïde (1671), en collaboration avec Segrais, approfondit cette veine romanesque. Mais c’est La Princesse de Clèves (1678) qui impose sa voix : roman d’analyse autant que roman historique, il marque un tournant dans l’histoire littéraire.
La Princesse de Clèves (publié en 1678) se déroule à la cour des Valois dans les années 1550, un peu avant les guerres de religion. L’héroïne, mariée à M. de Clèves, est amoureuse du duc de Nemours, un libertin caractérisé, qui suit ses élans physiques et intellectuels, méprisant toute contrainte ou jugement extérieur. Coup de tonnerre (et spoiler) : la princesse choisit d’avouer ses sentiments à son mari. Ce sacrifice brutal de sa passion fera couler des litres d’encre. Il s’agit, en effet, d’un aveu qui bouleverse les codes habituels du roman et de la société, et qui déclenche une tragédie intime où s’affrontent passion, devoir, et contraintes.
Les paroles les plus obscures d’un homme qui plaît donnent plus d’agitation que des déclarations ouvertes d’un homme qui ne plaît pas. Elle demeurait donc sans répondre, et M. de Nemours se fût aperçu de son silence, dont il n’aurait peut-être pas tiré de mauvais présage, si l’arrivée de M. de Clèves n’eût fini la conversation et sa visite.
Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves
Le style de Madame de La Fayette associe à la rigueur classique une élégance précieuse, ainsi que des répétitions et maladresses qui participent à un climat singulier. Cela donne une langue presque hypnotique, loin de la perfection froide, et qui souligne une distance mesurée entre l’auteur et ses personnages.
Ce mélange d’imperfections assumées, de préciosité dans la langue et de tension entre l’idéal amoureux et le libertinage fait d’elle une auteure tout à fait actuelle, qui incarne la modernité subtile, impérissable, née du XVIIe siècle.
Nicolas Boileau (1636–1711)

Nicolas Boileau s’impose comme le principal théoricien et critique du classicisme français, notamment via son Art poétique, un traité qui fixe les règles et les principes d’une littérature ordonnée et équilibrée.
Issu d’une famille bourgeoise parisienne, Boileau bénéficie d’une éducation soignée, orientée vers les études classiques. Sa condition sociale lui ouvre les portes des salons littéraires et de la cour. Louis XIV lui accorde une pension qui, en reconnaissance de son rôle dans la défense et l’illustration du goût royal.
L’Art poétique (1674) est son chef d’œuvre. Il s’agit d’un ensemble de règles précises sur la poésie et le théâtre, qui s’appuie sur les textes antiques, notamment Horace. La clarté, la vraisemblance, la bienséance et l’ordre sont définies comme piliers de la création artistique. Les excès du baroque sont condamnés au profit de la mesure et la raison. Ses Satires constituent une autre part importante de son œuvre, où il dénonce les travers de ses contemporains avec ironie et rigueur.
La plupart, emportés d’une fougue insensée,
Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée :
Ils croiroient s’abaisser, dans leurs vers monstrueux,
S’ils pensoient ce qu’un autre a pu penser comme eux.Nicolas Boileau, Art poétique
Boileau écrit L’Art poétique pour défendre son idée du goût. Il choisit la forme du traité, mais ne cherche pas à instruire. Il vise un public mondain et écarte tout ce qu’il estime incompatible avec la clarté, la mesure et la vérité.
En cherchant à codifier les normes du Grand Siècle, il a énoncé un idéal artistique qui a structuré la littérature française pour des siècles.
Jean Racine (1639–1699)
Jean Racine est celui qui, en un temps record, a porté la tragédie classique française à son sommet. Sa poésie dramatique combine rigueur, mesure et une pénétration psychologique inédite.
Jean Racine vient d’une famille modeste de petits notables à La Ferté-Milon, dans l’Aisne. Orphelin très tôt, il grandit chez les jansénistes de Port-Royal-des-Champs, où il reçoit une éducation littéraire et religieuse stricte. Il pense d’abord à une carrière ecclésiastique, mais se tourne vite vers les lettres, décidé à en faire son métier. À son époque, la littérature commence à peine à s’affirmer comme un vrai métier, une rare d’ascension sociale.
Racine débute au théâtre en 1664 avec La Thébaïde, jouée par la troupe de Molière. Le succès n’est pas au rendez-vous, mais, l’année suivante, son Alexandre lui vaut la protection du jeune Louis XIV. Fâché à vie avec Molière et en brouille avec Port-Royal, il voit ses pièces interprétées jouées à la cour du roi et au théâtre public. Consécration ultime, en 1677, il est nommé historiographe du roi.
Parmi ses œuvres, Andromaque (1667) fait l’effet d’une bombe. Alors que « le grand Corneille » organisait ses tragédies autour d’un dilemme où honneur et raison s’opposent au devoir, Racine met les passions humaines au centre de l’action, il en fait la force principale qui guide (et détruit) ses héros. Avec Phèdre (1677), Racine fait basculer la tragédie dans une intensité psychologique vertigineuse, où la douleur intérieure domine chaque parole et chaque geste.
PHÈDRE.N’allons point plus avant, demeurons, chère Œnone.
Je ne me soutiens plus ; ma force m’abandonne :
Mes yeux sont éblouis du jour que je revoi,
Et mes genoux tremblants se dérobent sous moi.
Hélas !Jean Racine, Phèdre
Racine a construit un drame intérieur incomparable, avec un classicisme tendu comme un arc, assorti d’un feu d’artifices de nuances. Sa langue est ciselée, nerveuse, élégante à mourir. On n’a rien écrit de mieux pour dire la violence intérieure. Voilà ce qui le rend absolument unique.
Jean de La Bruyère (1645–1696)

Jean de La Bruyère est célèbre pour ses Caractères, un recueil d’observations critiques et morales sur la société de son temps, qui dépeint avec finesse les travers et les comportements humains.
Issu d’une famille bourgeoise, La Bruyère étudie le droit avant de devenir précepteur auprès de la noblesse. Il s’installe à Paris où il se lie aux milieux intellectuels et aristocratiques, notamment grâce à son poste auprès du duc de Bourbon. Il vit de sa charge et de revenus modestes, sans bénéficier de grandes pensions, ce qui l’oblige à une vie relativement discrète.
Les Caractères (publiés en 1688) se présentent comme une série de portraits moraux et sociaux, articulés en courtes maximes, réflexions et descriptions. L’œuvre critique la société de cour et la bourgeoisie naissante. Il dévoile l’hypocrisie, la vanité, la prétention et le conformisme. À travers des anecdotes, analyses et portraits, La Bruyère dresse un tableau sévère et d’une précision remarquable. Ses réflexions sur la nature humaine donne à l’ouvrage une portée universelle.
Tout est dit, et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes et qui pensent. Sur ce qui concerne les mœurs, le plus beau et le meilleur est enlevé ; l’on ne fait que glaner après les anciens et les habiles d’entre les modernes.
La Bruyère, Les Caractères
La Bruyère construit ses Caractères comme un artisan, sous forme de fragments qu’il regroupe par thèmes. Il numérote chaque passage et insère de nouveaux textes au fil des rééditions. Cette architecture rigide organise une matière instable qui, au final, compose un tableau de la société aussi précis que déconcertant.
La littérature du 17ᵉ siècle, point de départ d’un certain goût français
Le Siècle de Louis XIV est loin de former un bloc. De ce fait, chaque lecteur y projette ses préférences. Certains ne jurent que par le théâtre classique, d’autres par les moralistes. Beaucoup (moi la première) oublient les autrices comme Madame de La Fayette ou Madame de Sévigné, pourtant centrales.
Derrière cette diversité, il y a pourtant un point commun : la recherche d’ordre. Ordre du langage, ordre des idées, ordre social. Cet idéal a posé les bases d’une littérature exigeante, hiérarchisée, tournée vers le sublime. Une littérature conçue comme un luxe, inscrite dans un idéal d’excellence qui produit des créations de très haute qualité, que le monde entier nous envie.
Je ne suis pas à l’abri de m’être trompée sur une date, un fait ou une interprétation. Je tiens pourtant à construire un contenu solide, fondé sur des repères clairs et vérifiables. Si vous repérez une erreur, je vous remercie de bien vouloir me la signaler.
⬅️ Pour mieux comprendre ce qui précède, vous pouvez lire mon article sur la littérature de la Renaissance.
➡️ Et pour découvrir ce qui suit, voici celui sur la littérature du XIXe siècle.
Et vous, quel auteur du XVIIe siècle vous a marqué, ou donné envie de creuser plus loin ?
Merci Eva pour cet article intéressant qui nous aide à mieux comprendre la production littéraire du XVIIᵉ siècle ainsi que ses auteurs. Il nous permet d’imaginer ce qui se vivait réellement à cette période charnière, entre Renaissance et Lumières. Toutes les couches de la société étaient sans doute profondément bousculées par les différents courants de pensée qui traversaient l’époque. On peut dire que cela a fait couler beaucoup d’encre… et causé bien des souffrances.
Effectivement, Pascal et Mylène, j’ai pensé qu’il était important de comprendre dans quels contextes et conditions les plus éclatants chefs d’oeuvre du patrimoine littéraire mondial avaient vu le jour. Merci pour votre lecture attentive qui récompense ce travai.
C’est très chouette de refaire un tour sur ses classiques de la sorte. ça me rappelle les années de mon bac L (et oui, c’est là qu’on se rend compte qu’on prend de l’âge hahaha) !
Merci pour ce riche article.
Merci, Ana, pour ton commentaire encourageant. C’est tellement vrai, ces grands noms ont accompagné nos années d’insouciance 😊. Et pour ceux et celles qui avaient de bons profs, ils ont apporté un supplément de beauté.
Merci pour cet article qui nous rappelle que l’observation, l’analyse des comportements humains, les passions et les vices de l’époque sont une source inépuisable d’inspiration pour ces auteurs.
Grâce à cette diversité de genre (le poème, les maximes, les comédies), et à la richesse des subtilités de notre langue, ils parviennent à capturer les nuances de la nature humaine 😉
Merci Ketty, pour ton éclairage très intéressant. C’est vrai que ces auteurs étaient particulièrement observateurs et attentifs à ce qui agitaient l’âme de leurs contemporains, au point d’arriver à des conclusions universelles… parfois très très piquantes !